6 mai : peut-on refuser de choisir ? Pierre Zaoui (dans Politis)
L’abstention et le vote blanc ne sont jamais des crimes, et sont même parfois de justes positions politiques, comme en Russie il y a peu ou, quoique dans une moindre mesure, lors du second tour de l’élection présidentielle française de 1969, qui vit s’opposer Georges Pompidou et Alain Poher, « blanc bonnet et bonnet blanc ». En revanche, pour ce second tour qui s’annonce, il faudra voter pour François Hollande. Pour au moins quatre raisons. Deux conjoncturelles, une structurelle et une entre les deux.
Premièrement, parce que Sarkozy. Jamais la droite française n’a été aussi infâme. Ce n’est même plus à prouver. Mais si on s’accorde tous sur ce constat, il est alors aberrant de prétendre que les socialistes mèneront la même politique. Ils sont indéniablement moins pires. Au moins en termes d’administration effective, sinon toujours dans les discours et les programmes – on pense tout particulièrement ici aux sans-papiers, mais aussi à la fiscalité, à l’école, aux aides sociales, aux soldats en Afghanistan… Car l’administration des choses, c’est peut-être le degré zéro de la politique, mais à hauteur d’hommes, des millions de vies en dépendent. Autrement dit, si l’adage qui veut qu’« entre deux maux il faille choisir le moindre » n’est pas toujours pertinent, il le devient quand l’un de ces deux maux s’appelle Nicolas Sarkozy et quand ses barons se nomment Nadine Morano, Brice Hortefeux, Éric Besson, Frédéric Lefebvre…
Deuxièmement, parce que Marine Le Pen. Par quelque bout qu’on les prenne, ses 6,5 millions de voix au premier tour et l’avenir inédit qu’ils lui dessinent constituent une nouvelle bombe politique dont on est loin d’avoir mesuré toutes les déflagrations. C’est pourquoi l’heure est davantage à la politique antifasciste et au « pas d’ennemi à gauche » républicain qu’à la politique « classe contre classe » ou à la politique du pire. Il s’agit de ne pas se tromper d’ennemi : la nouvelle droite néofasciste en gestation, et non pas de nouveaux « sociaux-traîtres » en puissance. En ce sens, donner aujourd’hui de l’eau au moulin tantôt poujadiste, tantôt révolutionnaire du « tous pourris, tous les mêmes » apparaît plus dangereux que jamais. D’autant que le premier tour a montré aussi que les forces progressistes de gauche n’étaient pas tout à fait mortes.
Troisième raison, plus structurelle : prendre acte de la désacralisation du vote dans nos pseudo-démocraties. L’essentiel de la vie démocratique ne se joue plus dans les partis, ni lors des élections. Le sens du vote a ainsi changé : il ne s’agit plus d’un acte de délégation ou de représentation, mais d’un simple geste, parmi d’autres et à la même hauteur, d’intervention politique. Le contraire d’un blanc-seing, d’une confiance ou même d’une espérance. À rebours, on devrait plutôt se demander quelle foi mettent encore dans les élections ceux qui refusent haut et fort de voter Hollande : ont-ils si peur de passer pour des socialistes face à leur conscience ? Quelle étrange peur alors, et quelle étrange conscience du vote.
Enfin, la quatrième raison est à la fois conjoncturelle et structurelle. Elle tient à la personne de François Hollande. Depuis la primaire socialiste, on ne cesse de moquer son manque de charisme, d’envergure, de brillant, d’ambition, de projet. C’est insupportable. Car l’une des plaies structurelles du temps consiste justement dans cette personnalisation à outrance du personnel politique aux dépens des vrais enjeux, qui ne se décident jamais en conseil des ministres mais toujours au sein de la société civile. Au moins quand on est de gauche. En ce sens, un président sans charisme, sans grand projet, mais sans infamie, on ne saurait rêver mieux : il nous protège d’avance de toute attente grotesque d’un dieu, d’un sauveur ou d’un tribun, et nous renvoie à nos propres responsabilités – construire ensemble et par nous-mêmes l’alternative de demain.
Construire la dynamique du changement
Par Claude Debons, Évelyne Sire-Marin, Jacques Rigaudiat
Sans hésitation, nous voterons François Hollande pour battre Nicolas Sarkozy. C’est la condition nécessaire pour stopper la contre-révolution libérale qui a mis à mal notre « modèle social », et ouvrir une dynamique de mobilisation et de changement dans notre pays. Nous le faisons sans hésitation tant serait catastrophique un nouveau quinquennat du président sortant. A fortiori placé sous la pression du Front national, dont la candidate est sortie renforcée du premier tour de l’élection présidentielle.
Faut-il rappeler la régression des droits sociaux et démocratiques, le recul de la protection sociale et des services publics, le creusement des inégalités et la stigmatisation des immigrés mis en œuvre ces dernières années ? D’autant que la droite et les libéraux ne font pas mystère de leurs objectifs : mettre à profit la crise financière pour imposer, dans le cadre des nouveaux traités européens, une austérité généralisée conduisant à détruire ce qui reste des grandes conquêtes sociales et démocratiques de l’après-Seconde Guerre mondiale. Nous ne voulons pas donner à Sarkozy la possibilité de « finir le (sale) boulot ».
Nous le faisons tout en considérant que le programme proposé par François Hollande est insuffisant pour relever les défis posés. Il s’inscrit dans une analyse de la crise actuelle circonscrite à une crise des dettes souveraines qui serait due à un excès de dépenses publiques qu’il conviendrait de résoudre par une politique de rigueur budgétaire.
Le diagnostic et les remèdes sont inadaptés : les dépenses publiques rapportées à la richesse nationale sont stables depuis vingt ans, ce sont les recettes sociales et fiscales qui ont chuté sous l’effet des politiques libérales. Telle est la cause immédiate des déficits publics, mais, plus profondément, cette crise est celle du modèle libéral de développement du capitalisme depuis trois décennies et de la construction libérale de l’Union européenne organisée par les traités successifs depuis 1986. Cela appelle des ruptures avec des orientations mortifères, et pas seulement des correctifs à la marge des injustices les plus criantes.
Nous le faisons avec la conviction que la défaite de Sarkozy sera ressentie jusqu’au-delà de nos frontières comme un revers infligé au système libéral tout entier. La défaite de l’architecte – avec Angela Merkel – des nouveaux traités européens enfermant les peuples dans l’austérité à perpétuité résonnera comme un appel à une refondation sociale et démocratique de l’Union européenne. La défaite de celui qui fut le « président des riches » et l’ami du patronat constituera un encouragement pour les mobilisations sociales ainsi que la reconquête et l’élargissement des droits sociaux et démocratiques.
La question des alternatives sera posée avec d’autant plus de force que ce sera au feu de la confrontation à venir avec la finance internationale. Cette dernière n’attendra pas pour essayer de plier d’emblée le nouveau gouvernement de gauche à ses exigences. La gauche, toute la gauche, sera confrontée alors à des questions essentielles.
Comment desserrer l’étau de la spéculation financière internationale sinon en faisant un audit de la dette pour sa renégociation et en s’émancipant des règles mortifères du traité de Lisbonne, notamment en autorisant la BCE à prêter directement aux États ?
Comment orienter l’argent vers les investissements utiles pour les besoins sociaux, la réindustrialisation et la reconversion écologique de notre système productif, sinon en imposant un autre partage des richesses, en construisant un grand pôle public du crédit agissant en fonction de l’intérêt général et en nationalisant des banques ?
Comment faire de l’emploi la priorité, quand 5 millions de personnes connaissent le chômage ou le sous-emploi, sans un volontarisme industriel et écologique, une relance des services publics, une reprise de la réduction du temps de travail, une sécurité sociale professionnelle assurant continuité des droits des salariés et formation qualifiante pour répondre aux besoins d’emplois suscités par la relance économique ?
Comment restaurer la souveraineté populaire, renforcer les droits et les libertés, élargir la démocratie sociale au sein des entreprises sans rompre avec la monarchie républicaine de la Ve République ? Soumission aux diktats de la finance ou réponse aux attentes populaires, il faudra choisir !
Nous sommes convaincus que la défaite de Nicolas Sarkozy fera souffler l’envie du changement. Dès lors, des mobilisations politiques et sociales majoritaires peuvent permettre d’apporter à ces questions des réponses ambitieuses, comme les grèves de juin 1936 ont permis les conquêtes du Front populaire. C’est à la construction de cette dynamique qu’il faut s’atteler. C’est la condition indispensable pour combattre la dangereuse progression du Front national dans notre pays. (dans Politis)
Ce pourquoi je voterai le 6 mai : Déclaration de Jacques Cheminade
Je ne voterai pas pour Nicolas Sarkozy. Par sa soumission aux forces de la finance, il est responsable de l’état actuel de la France. Tout dans son comportement et ses thèmes de campagne est à l’opposé de la mission historique de mon pays. Dans la mesure de mes moyens, je contribuerai donc à le faire battre.
Pour y parvenir, un vote blanc ne saurait suffire. Je mettrai donc dans l’urne un bulletin « François Hollande » malgré toutes mes préventions à l’encontre de la politique passée des socialistes lorsqu’ils ont exercé le pouvoir et contribué à mettre la France sous tutelle financière. J’ai accueilli avec satisfaction le discours du Bourget du 22 janvier, désignant le monde de la finance comme principal adversaire, et je prends note de l’engagement pris par le candidat de « préserver notre modàle social issu des travaux du Conseil national de la Résistance ».
Cependant, je ne vois pas comment il pourra tenir son engagement compte tenu de ceux qu’il a par ailleurs pris de « rétablir l’équilibre des comptes publics fin 2017 » et « d’inscrire la règle d’or dans une loi organique qui pourrait être votée dès juillet ». C’est en tous cas rejeter la mise en garde de Jean Zay, le ministre de l’Education du Front populaire, contre la « mystique de l’équilibre budgétaire » qui avait alors empêché, comme elle le ferait aujourd’hui, toute politique de réel développement économique et de justice sociale.
Disons-le franchement : la propension de François Hollande à la synthèse et sa sous-estimation de ce qui constitue le monde de la City et de Wall Street, c’est-à-dire de l’oligarchie financiàre, ne le rendent pas pour l’instant prêt à faire face à la tempête qui se prépare en Europe et dans le monde. Son attachement à l’exercice du pouvoir tel que François Mitterrand et Jacques Delors l’ont manifesté me fait douter de sa capacité à relever aujourd’hui le défi.
Déjà, la faiblesse que François Hollande a exhibée devant des journalistes anglais et américains, déjà sa pusillanimité lors de son récent séjour à Londres, déjà les contacts pris par son entourage issu du monde de la finance avec le même monde de la finance, déjà les déclarations de Jérôme Cahuzac en faveur du « concept de banque universelle ‘à la Française’ qui allie des activités de dépôt et des activités de financement de l’économie », déjà ce que l’on entend dire sur le renvoi à octobre pour engager tout processus législatif sur les activités financiàres », permettent de nourrir de tràs graves doutes.
Cependant, tout homme peut changer. Mon vote aura donc pour objet, outre de faire battre la politique de Nicolas Sarkozy, de mettre celle de François Hollande sous surveillance. Sans la moindre complaisance. S’il lance le processus législatif pour faire couper les banques en deux, renouant avec la politique de Roosevelt aux Etats-Unis et la nôtre à la Libération, c’est-à-dire s’il se détermine contre la politique entreprise par François Mitterrand et Jacques Delors en leur temps, s’il adopte un principe de banque nationale permettant au peuple de retrouver son instrument de pouvoir, s’il affirme clairement que l’Europe a fait fausse route et perdu sa raison d’être, alors il aura mon soutien, plus encore sans doute que celui de nombreux socialistes issus d’un horizon strauss-kahnien et dépourvus de principes. S’il agit autrement, je serai son adversaire car il sera devenu le complice de ce monde de la finance qu’il a dénoncé au Bourget. J’espàre pour la France, pour l’Europe et pour le monde que ses actes, en dissipant mes doutes et mes fortes préventions, seront de nature à servir une certaine idée de la France et cette « grandeur de la nation » qu’il a évoquée le 27 avril à Limoges.